D’entrée de jeu, jouons cartes sur table : La vie est un cadeau et une mission, mais hélas aussi souvent un cadeau empoisonné et une mission impossible.
Personne ne demande à naître. La vie apparaît dès lors d’emblée comme un cadeau. Un cadeau tombé du ciel si on a la chance de naître dans une bonne famille. Un cadeau empoisonné si on la malchance d’être, dès son âge le plus tendre, martyrisé ou obligé de chercher sa pitance dans la rue.
Personne ne mérite a priori le sort qui lui est fait, mais ne refuse pas, non plus, sans motif sérieux, un si beau cadeau que la vie. Dans Gracias à la vida, Violeta Parra dresse l’inventaire de tout ce que la vie lui a apporté. Une paire d’yeux qui permet de distinguer le blanc du noir, de contempler le ciel étoilé, et de reconnaître, dans la foule, l’homme qu’on aime. L’ouïe qui permet de percevoir tant le chant des oiseaux que celui des cigales, sans oublier les mots d’amour prononcés à voix basse. L’odorat, le toucher et le goût nous font profiter des parfums, des caresses et des mets délicieux. L’air pur de la mer et de la montagne nous remplit les poumons. La terre se dérobe sous nos pieds quand nous courons à perdre haleine. La pluie ruisselle sur notre peau en formant des petits serpents liquides. Par grand froid, le feu qui brûle dans l’âtre nous réchauffe le corps mais aussi le cœur !
Seulement voilà : recevoir le cadeau de la vie nous semble parfois tellement couler de source que nous finissons par prendre cet insigne présent pour un droit. Un droit inaliénable. Un droit à la vie, à la liberté et à la quête du bonheur, comme le proclame si joliment La Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, rédigée par des propriétaires d’esclaves.
Un droit, vraiment ? Pourquoi la vie nous apparaît alors quelquefois comme un cadeau empoisonné ? Comme un cadeau qui nous vaut pas mal de coups du sort, si elle ne nous rend pas aveugle et sourd ? Il est bien beau, ce cadeau qui nous rend l’existence difficile, voire exécrable !
Même bien portants et en possession de tous nos moyens, ce qui est loin d’être évident, nous sommes obligés de nous voiler la face devant les massacres, de nous boucher les oreilles devant les bruits assourdissants des marteaux-piqueurs et des avions de chasse, de nous tenir le nez pour éviter les fumées des pots d’échappement et des cheminées d’usine, de nous remettre des bleus et des nausées qu’elle nous apporte également, la vie !
Ils ne sont dès lors pas rares, ceux qui, à la suite de Job, ont maudit leur venue au monde. Car naître n’est pas sans conséquences. Comme nouveau-nés, si nous ne sommes pas pris en charge par autrui, nos chances de survie sont bien minces. En tant qu’adultes majeurs et vaccinés, nous devons nous prendre en charge nous-mêmes, sans ignorer ceux avec lesquels nous partageons notre vie, notre ville, notre pays, voire le monde. Car, à moins d’avoir un cœur de pierre, comment être aveugles et sourds aux plaintes de ceux-là pour qui la vie n’est pas un cadeau ?
La vie apparaît dès lors, non plus comme un cadeau, même empoisonné, mais comme une mission. Une mission de changer de fond en comble, non pas la course des étoiles, ni la suite des saisons, mais le manège des êtres humains. Une mission de réaliser davantage de justice !
On ne compte hélas pas les messies qui ont promis de changer la vie, entraînant le plus souvent leurs adeptes dans leur chute. Or, sous cet angle-là, tout en désirant réaliser davantage de justice, la vie s’est avérée être souvent une mission impossible !
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