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TEXTES AUTOBIOGRAPHIQUES

IDENTITE
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NI MARTYR NI TYRAN
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REVE REVEIL REVOLTE
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LE PAVE INEGAL
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En août 2021 est sorti un film sur Hiroo Onoda, dont nous avions conté l’histoire dans notre recueil de nouvelles, publié en 2017, “Maracas – nouvelles du tropique du Capricorne” (titre néerlandais original : “Sambaballen – verhalen aan de zuiderkeerkring”).

Voici un extrait de la nouvelle “Jeu vidéo” (autour de la guerre des Malouines en mai-juin 1982).

Flash d’information

(…)

Un deuxième flash d’information sur les Malouines diffusait un fragment du journal télévisé de la BBC ayant pour sous-titre :‘The Empire strikes back !’ La première ministre britannique annonçait que le Royaume Uni récupérerait à tout prix la souveraineté sur la région de l’Atlantique Sud. 
‘C’est la guerre !' cria Ulysse devant le petit écran. ‘Je combattrai aux côtés des Argentins jusqu’à mon dernier souffle !’
Ben eut un mouvement de surprise qui signifiait : ‘Et maintenant ?’
En tant qu’habitué de la salle de jeux, Ulysse prenait la liberté de changer de chaîne. Ce ne fut pas par hasard. TV Alpha présentait un reportage sur Hiroo Onoda, le Japonais pour qui la guerre prit fin l’année même où le président Nixon dut démissionner suite au scandale du Watergate.
‘Quelle guerre ?’ demanda Ben sur un ton faussement naïf.
‘La Seconde Guerre mondiale, ça va de soi,’ dit Ulysse en désignant l’écran. ‘Regarde bien, car moi aussi j’apparais dans ce reportage !’
‘On t’a filmé, toi aussi ? Mais quel âge as-tu donc ?’
‘Trente-trois ans,’ répondit Ulysse. ‘Mais je n’ai pas vécu la Seconde Guerre mondiale, si c’est ce que tu insinues !’
‘Alors pourquoi apparais-tu dans ce reportage ?’
‘J’ai travaillé à Terenos, à la ferme de Tadao, le frère de Hiroo. Cette ferme se trouve à l’ouest de Campo Grande, dans l’Etat du Matto Grosso do Sul. Onoda est vraiment le max !’
Le reportage fut souvent interrompu par des publicités pour des yaourts, des déodorants, des boissons gazeuses et des produits de lessive. Le sujet principal était le séjour de sept ans de Hiroo Onoda au Brésil. Onoda fut envoyé comme agent secret sur l’île Lubang aux Philippines au lendemain de Noël de l’année où les Alliés débarquèrent en Normandie. Il n’avait alors que vingt-deux ans. Vingt-neuf ans plus tard, il fut localisé par l’étudiant Norio Suzuki. Suzuki fit comprendre à Onoda que la guerre était finie depuis trois décennies déjà. Onoda, qui avait perdu deux comparses, l’un dans les années cinquante, l’autre dans les années soixante, refusait cependant de se rendre. Sauf si son supérieur, le major Tanaguchi, devenu libraire entre temps, lui en donnait l’ordre. Suzuki, un jeune aux cheveux longs, s’en fut chercher au Japon Tanaguchi, un vieil homme aux crâne rasé, pour que ce dernier donne à Onoda l’ordre de déposer les armes. Concrètement, il s’agissait d’un fusil et d’un sabre, outre cinq cents cartouches.
Pendant sa propre Guerre des Trente Ans, Onoda tua quelque trente personnes. Son menu était composé de bananes et du riz abandonné par les habitants de l’île. De temps à autre, d’un tir entre les cornes, il tuait une vache. Après que le président – et dictateur – Ferdinand Marcos l’eût gracié, Onoda rentra dans son pays natal mais ne s’y sentait plus à l’aise. Le Japon des trains à grande vitesse n’était déjà plus le Japon des kamikazes et des samouraïs. C’est ainsi qu’Onoda atterrit au Brésil à la ferme de son frère Tadao.
Devant la caméra de TV Alpha Onoda raconta sa guerre personnelle tandis qu’Ulysse apparaissait en arrière-fond. Cette guerre ne fut pas uniquement une lutte de vie ou de mort mais aussi une lutte pour la survie pure et simple. La nature était son pire ennemi.
Onoda possédait une mémoire d’éléphant, car les dates et les noms sortaient de sa bouche dans son portugais approximatif sans qu’il ait eu besoin de consulter quelque pense-bête que ce soit.
Toutes les tentatives pour faire retourner Onoda à la civilisation après la guerre échouèrent.
Il rejeta comme propagande de l’ennemi un pamphlet lui faisant comprendre que les Alliés avaient gagné la guerre. Il considéra ce document même comme un signe avant-coureur de l’invasion prochaine, par les Japonais, de l’île de Lubang, laquelle occupait une position stratégique à l’ouest de Manille.
Un message diffusé par haut-parleur dans lequel Onoda était cité nommément lui parut suspect. On exigeait sa reddition dans les quarante-huit heures. En japonais, on fait mention de deux jours, jamais de quarante-huit heures. Cela était un terme utilisé exclusivement par les Américains.
Des lettres personnelles, de la main de proches, furent abandonnées à des lieux dont on savait que Onoda passait par là. Néanmoins, une faute d’orthographe lui fit supposer qu’il ne pouvait s’agir que d’un piège de l’ennemi. Il se demanda bien sûr comment les Américains avaient réussi à convaincre ses proches d’écrire ces lettres, mais il passa vite à autre chose. Le seul fait qu’on voulait le faire sortir de sa cachette prouvait l’importance de sa mission secrète. Celle-ci lui fut confiée par un lieutenant-général et consistait à indiquer, en cas d’invasion japonaise, la voie vers l’aérodrome de Lubang. De là, Manille pouvait être attaquée par l’ouest.
Une photo de proches, en ce compris une poignée d’adolescents nés après la guerre, devant une maison inconnue, lui parut également suspecte. La maison inconnue lui parut la preuve éclatante qu’on voulût lui envoyer un faux message. Onoda ignorait bien sûr à ce moment-là que le Japon avait été fortement bombardé. En toute logique, sa famille avait dû construire une nouvelle demeure.
Même une ritournelle d’enfant, diffusée par haut-parleur et chantée par son frère Toshio, ne le convainquit guère. Pourtant, son frère passa deux mois sur l’île de Lubang pour que le guerrier infatigable finisse par rentrer. Onoda suspecta toutefois que ce n’était pas son frère, mais un imitateur qui chantait la ritournelle. Dans la dernière strophe, la voix du chanteur se brisa, ce qui, selon Onoda, ne serait jamais arrivé à son frère.
Chaque fois qu’une poignée d’hommes sortaient à sa recherche, Onoda interpréta cette sortie comme une expédition pour le capturer. Lorsque ces hommes s’approchaient trop près de lui et qu’il leur tirait dessus pour se défendre, ils répliquaient. C’est ce qui se fait également en temps de paix : répliquer à un tir. Mais pour Onoda, c’était bien la preuve que la guerre n’était pas finie.
L’année où les rebelles emmenés par Fidel Castro prirent le pouvoir à Cuba, on abandonna quelques journaux et magazines japonais à l’intention d’Onoda. Ils couvraient l’actualité de deux mois. Onoda les lut et en conclut que la Chine – devenue depuis dix ans une République populaire sous l’égide de Mao – collaborait avec le Japon contre ces diables d’Américains et d’Anglais. Il n’empêche. Pour Onoda, il ne pouvait s’agir que de falsifications bien construites. Ils traitaient, petites annonces comprises, de la vie quotidienne au Japon. Et ils ne pouvaient refléter la réalité selon Onoda. Car ou bien les Japonais avaient gagné la guerre et le haut commandement mettrait un terme à sa mission au Philippines. Ou bien les cent millions de Japonais avaient préféré mourir, comme ils en avaient fait le serment, plutôt que de capituler. Et les morts, sauf si on croit à l’existence de zombies, ne publient pas de petites annonces.
 

Code d’honneur

Après avoir visionné ce reportage, Ben se demanda si le lieutenant japonais avait été très courageux ou au contraire particulièrement lâche. Faire durer la Seconde Guerre mondiale cinq fois plus longtemps qu’elle ne dura effectivement doit avoir demandé beaucoup de courage. En revanche, éviter pendant trois décennies un ennemi ayant déposé les armes depuis longtemps pourrait faire conclure à de la lâcheté. Onoda ignorait totalement le Japon d’après-guerre avec ses codes d’honneur désuets. C’est ce qui le poussa à émigrer au Brésil et lui donnait même un air de don Quichotte. L’hidalgo espagnol voulait se comporter comme un chevalier dans un pays où les inquisiteurs et les conquistadors avaient renié depuis belle lurette les codes d’honneur des chevaliers errants. 
Ulysse, tout comme ce reportage, démentait l’image du soldat ayant la pétoche et évitant l’ennemi. De plus, il trouvait que Hiroo Onoda était l’être humain le plus loyal de la terre. Cela, Ben le valorisait beaucoup. Mais, tout d’un coup, Ulysse se remit à parler de la guerre à venir entre les Argentins mangeurs de viande et les Anglais buveurs de thé.
(…)
 

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